C'est dans ce contexte que Frédéric GENTA, délégué interministériel chargé de la transition numérique de la Principauté de Monaco, a pu brosser à larges traits les grandes lignes de la future loi sur les ICO (levées de fonds numériques) à l’occasion de la troisième édition du MIB (Monaco International Blockchain) le 7 mai 2019.
Ce projet singulier trouve sa place dans la volonté du Souverain d’initier la mutation digitale de la Principauté par l’installation de la 5G (réseaux NB-IoT, 5G, plateforme Cloud de Huawei), la mise en service de véhicules autonomes, la dotation d’un cloud souverain, l’apprentissage de la programmation dans les écoles primaires de la Principauté[1].
Dans une approche conservatrice, la Principauté semble souhaiter poser un cadre restrictif aux usages de la blockchain et des ICOs sur son territoire. Ainsi, selon Monsieur GENTA le parcours d’un projet de levée de fonds numérique, en Principauté, pourrait être le suivant[2] :
Les porteurs de projets ainsi que le projet devraient faire l’objet d’une validation « a priori » par une « commission ad hoc »
L’honorabilité des porteurs de projet serait vérifiée tout comme l’adéquation du projet (white paper) avec les thématiques sélectionnées par le Souverain, à savoir l’environnement, la « cleantech », et la « real estate tech ».Il n’est pas indiqué si, comme dans d’autres juridictions, l’audit du projet comporterait un volet technique en ce qui concerne la qualité du code, des smart contrats … l’efficacité des garanties légales et financières en cas d’échec de la levée de fonds ou du projet. Mais a priori cela ne devrait pas être le cas puisqu’il semble que l’on s’oriente vers un nouveau concept « d’ICO Low Tech », sans exchange et uniquement souscrite en Fiat...
Cette commission ad hoc disposerait d’un délai propre pour rendre son avis.
Les porteurs de projets devraient ensuite constituer une entité juridique monégasque afin de promouvoir l’ICO
Ainsi, après le visa préalable spécifique aux ICO, les porteurs de projets seront soumis à l’examen d’opportunité de droit commun qui conditionne la création d’une activité en principauté lorsque l’on n’est pas de nationalité monégasque.A cela s’ajoute les délais nécessaires à la création d’une Société Anonyme Monégasque ou d’une SARL, ceux liés à l’ouverture d’un compte bancaire (qui ne sera pas aisé vu le refus actuel des banques de la place d’ouvrir des comptes aux sociétés ayant un lien avec la technologie blockchain, mais si celle-ci n’est pas utilisée cela pourrait être plus simple) et enfin aux délais dus à la location d’un bureau (denrée particulièrement rare en Principauté).
Cette procédure pourrait finalement ressembler à celle pratiquée pour la création des « Multi-family office ».
L’organisme monégasque antiblanchiment (SICCFIN) effectuerait un contrôle de l’origine des fonds levés par l’ICO
Ce contrôle « a postériori » ( ?) viendrait renforcer le contrôle KYC/AML des banques qui recevraient les fonds. Cette partie n’a pas été détaillée par l’orateur.A partir des éléments évoqués à titre d’exemple, on peut imaginer que le premier cas d’usage de la loi ICO concernerait le financement d’un film par un panel d’investisseurs (excluant des nationaux américains). Les fonds (exclusivement Fiat) reçus étant déposés auprès d’une banque qui effectuerait les diligences classiques KYC AML.
Dans ce cadre on ne voit pas intervenir « d’Exchange » ou de « Custodian » digitaux et cela tombe bien car il ne semble pas que ces institutions soient prévues dans le projet de loi. En effet, l’opportunité de la création d’une Exchange Monégasque (privé ? souverain ?) semble encore faire débat au sein des autorités.
Si ce cas d’usage devait être le standard des ICO Monégasques on peut s’interroger sur la capacité de la Principauté à atteindre l’objectif fixé de 10 ICO par an[3].
Toutefois, le projet de loi, reste encore nimbé de mystères et c’est peut être une bonne chose. Car à l’écoute de ces premières réflexions on a l’impression que la Loi ICO serait plutôt l’occasion de créer une sorte de clone des SOFICA[4] françaises. Mais même là on ne voit pas ce que pourrait apporter la technologie des registres distribués à ces projets.
Cependant, il serait dommage d’en rester là car Monaco non seulement dispose d’atouts pour devenir l’écosystème de référence des technologies de registres distribués mais surtout elle aura besoin d’une législation complète pour déployer entièrement son projet de « Smart Principality ».
Car au cœur de la Smart City, il y a la sécurisation des données personnelles et la souveraineté numérique que seule la blockchain peut apporter.
Pour sécuriser ces sujets, qualifier les « jetons » et permettre les levées de fonds numériques (…) il faut une législation globale des technologies des registres distribués.
Une telle régulation apportant sécurité et certitude est, en outre, le gage du développement d’une économie numérique. Cette régulation peut certes prévoir l’installation à Monaco des porteurs de projets et la limitation des projets d’ICO à un certain nombre de domaines, mais elle doit surtout dépasser les standards internationaux existants et: prévoir des institutions souveraines (agences numérique, bourse, dépositaire), des professions et des activités réglementées, mais aussi définir la nature et le régime juridique des principaux éléments de cet écosystème.
Alors bien sûr, la Principauté, n’a pas besoin de séduire le Monde, avec 9.259 nationaux, 38.800 résidents, 50.000 pendulaires, plus de demandes de création d’entreprises que de locaux pour en accueillir. Cependant, on peut considérer que la parabole des Talents s’applique aussi aux Nations et que Monaco a quelque chose de singulier à apporter au Monde Numérique en exploitant ses atouts et en préparant son futur.
Pour plus d'informations, merci de contacter Damien Concé, Docteur en Droit: d.conce@rosemont.mc ou visiter notre page dédiée
[3] https://www.usine-digitale.fr/article/5g-cloud-souverain-blockchain-et-si-monaco-devenait-le-pays-le-plus-digitalise-au-monde.N838175
[4] Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA créées par la loi française du 11 juillet 1985