Loi AML & yachts brokers dans l’UE, et autres juridictions clés

25/08/2025

Les courtiers en yachts sont exposés à des risques AML importants en raison de la diversité de la clientèle du charter de super-yachts : HNWIs, family offices, sociétés, intermédiaires, PEPs, célébrités, ainsi que des véhicules de gestion de patrimoine comme les trusts ou les fondations. Ces profils apportent souvent une forte complexité : structures de propriété opaques, paiements effectués par des tiers, exposition potentielle à des PEPs, risques de sanctions ou encore schémas d’évasion fiscale, autant de facteurs qui augmentent les risques de blanchiment ou d’atteinte à la réputation. Parmi les signaux d’alerte les plus fréquents, on retrouve la réticence à divulguer les UBOs, des explications vagues sur l’origine des fonds, des paiements offshore soudains, une documentation incohérente ou falsifiée, des itinéraires inhabituels impliquant des juridictions à haut risque, ou encore des pressions pour contourner les contrôles de due diligence.

Les courtiers occupent une position complexe et inégale dans les cadres internationaux de lutte contre le blanchiment. Selon les 4ᵉ et 5ᵉ directives AML de l’UE (AMLD4/5), ils ne sont pas explicitement listés comme entités assujetties. Ils sont couverts de manière indirecte sous la catégorie des commerçants de biens de grande valeur, avec une obligation de conformité uniquement lorsque des transactions en espèces de 10 000 € ou plus sont impliquées. Comme la plupart des ventes et affrètements de yachts sont réglés par virement bancaire, cette approche a laissé un vide réglementaire, de nombreuses transactions échappant au périmètre AML obligatoire de l’UE. Cela a entraîné des différences notables selon les pays : certains États membres ont adopté des extensions qui incluent explicitement le courtage de yachts, tandis que d’autres restent attachés aux seules obligations liées aux paiements en espèces.

Un sujet récurrent est le statut des courtiers agissant comme dépositaires de fonds, conservant l’argent des clients sur des comptes séquestres lors de ventes ou d’affrètements. Dans la plupart des pays de l’UE, cette activité n’est pas réglementée séparément, sauf si le courtier relève aussi d’une autre catégorie assujettie, comme un prestataire de services de paiement ou un commerçant de biens de grande valeur. L’Italie fait figure d’exception : la loi italienne considère les courtiers intervenant dans des transactions de yachts – y compris lorsqu’ils reçoivent ou versent des fonds clients – comme des professionnels assujettis. Les courtiers italiens doivent donc appliquer une due diligence complète (CDD), identifier les bénéficiaires effectifs et déclarer les transactions suspectes, en particulier au-dessus de 10 000 €. À l’inverse, la France inclut les courtiers dans la catégorie des commerçants de biens de grande valeur, mais les obligations sont surtout liées aux transactions en espèces de 10 000 € ou plus. De même, Chypre et la Grèce suivent l’approche standard des directives européennes, même si la loi grecque mentionne explicitement les sociétés de courtage de yachts dans son texte AML.

Plusieurs juridictions sont allées plus loin que le minimum européen en étendant les obligations AML aux transactions non réglées en espèces. Malte a introduit en 2021 une interdiction générale des paiements cash de 10 000 € ou plus pour la vente ou l’affrètement de yachts, supprimant ainsi les transactions en espèces dans le secteur. En parallèle, la loi maltaise désigne les courtiers en yachts comme des « subject persons » tenus de réaliser une due diligence et un suivi sur toutes les transactions de grande valeur, même réglées par virement. La Belgique a également durci son cadre en interdisant les paiements en espèces supérieurs à 3 000 € pour l’achat de biens et en considérant les vendeurs d’actifs de luxe – y compris les courtiers en yachts – comme des entités assujetties. Cela signifie que les courtiers belges doivent appliquer les contrôles AML sur quasiment toutes les ventes significatives, quel que soit le mode de paiement. L’Italie, Malte et la Belgique apparaissent donc comme des pays qui imposent des régimes AML complets, bien au-delà du seuil en espèces prévu par la directive. L’Allemagne, à l’inverse, maintient une définition plus stricte des commerçants de biens, avec des obligations AML uniquement pour les paiements en espèces de 10 000 € ou plus. Une vente de plusieurs millions réglée par virement n’y soumet pas le courtier à des obligations AML, même si les banques restent responsables des contrôles. D’autres pays de l’UE, comme l’Espagne, le Portugal ou les Pays-Bas, suivent cette approche centrée sur le cash. Dans les pays nordiques, des plafonds stricts sur les paiements en espèces (par exemple 50 000 DKK au Danemark) réduisent indirectement les risques de blanchiment, mais les courtiers ne sont concernés que s’ils dépassent ces limites.

En dehors de l’UE, les approches varient fortement. Aux États-Unis, les courtiers en yachts sont techniquement inclus dans la définition légale d’« institution financière » selon le Bank Secrecy Act, mais le FinCEN a exempté indéfiniment les vendeurs de véhicules et de bateaux de l’obligation d’avoir un programme AML complet. Cela signifie que les courtiers américains ne sont pas tenus de mettre en place un dispositif AML, de vérifier l’identité des clients ou de déposer des rapports de soupçon, contrairement aux banques. Leur principale obligation est la déclaration des espèces : tout courtier recevant plus de 10 000 $ en cash (y compris paiements liés) doit déposer un formulaire IRS/FinCEN 8300 dans un délai de 15 jours. Cette obligation concerne les espèces, chèques de banque, mandats ou chèques de voyage, mais pas les virements bancaires. Certains États renforcent ce cadre : la Floride, par exemple, peut engager des poursuites pénales contre les courtiers qui omettent de déclarer ces paiements. Cependant, ni la loi fédérale ni la loi des États n’impose un programme AML complet aux courtiers, la conformité se limitant en pratique à la déclaration des espèces et au contrôle des sanctions (OFAC).

L’Île de Man applique ses règles AML aux courtiers uniquement s’ils acceptent des paiements en espèces de 15 000 € ou plus, ce qui les classe comme commerçants de biens de grande valeur (HVGDs). Dans ce cas, ils doivent s’enregistrer auprès de la Financial Services Authority et suivre le Code AML/CFT. Les services de séquestre seuls ne déclenchent pas d’obligations, sauf si des paiements cash importants sont reçus. La Suisse fixe un seuil bien plus élevé : les obligations AML ne s’appliquent aux courtiers que si une transaction implique des espèces supérieures à 100 000 CHF. Même dans ce cas, ils doivent vérifier l’identité du client, identifier les bénéficiaires effectifs et déclarer toute activité suspecte au MROS. Les virements bancaires, aussi élevés soient-ils, ne déclenchent pas d’obligations AML pour les courtiers suisses. Le Liechtenstein, en revanche, applique une approche bien plus stricte : selon sa Due Diligence Act, tout courtier en yachts est soumis à la réglementation AML, que le paiement soit en espèces ou électronique. Ils doivent donc réaliser une due diligence, vérifier les sources de richesse, surveiller les transactions et signaler les opérations suspectes à la FMA/FIU. Cela fait du Liechtenstein l’une des rares juridictions qui considèrent explicitement les courtiers en yachts comme des DNFBPs entièrement régulés. Monaco a également modifié son cadre pour inclure explicitement les ventes et affrètements de yachts, à la suite d’une évaluation nationale des risques ayant identifié ce secteur comme vulnérable.

La tendance est à une couverture plus large et à une harmonisation accrue. Le futur règlement AML de l’UE (AMLR), adopté en 2024, inclura pour la première fois les commerçants de biens de luxe – yachts, jets privés, voitures haut de gamme – comme entités assujetties. Il imposera une due diligence et des obligations de déclaration pour toutes les transactions de yachts dépassant un seuil défini (provisoirement autour de 7,5 millions d’euros), que le paiement soit en espèces ou par virement. Cette réforme comblera une lacune de longue date dans le dispositif européen et intégrera, d’ici 2025-2026, l’ensemble des courtiers dans le champ AML. Elle alignera l’UE sur des régimes plus stricts déjà appliqués à Malte, en Belgique, au Liechtenstein et à Monaco. La France a déjà adopté une législation en ce sens, couvrant non seulement les ventes et achats, mais aussi les affrètements. Les décrets d’application sont en attente.

À Monaco, les courtiers doivent respecter le cadre AML local (Loi 1.362 et lignes directrices de l’AMSF) ainsi que les obligations internationales en matière de sanctions, en appliquant une approche strictement basée sur le risque. Cela implique d’adapter la due diligence selon le profil du client et le niveau de risque de la transaction : vérifications simplifiées pour les profils à faible risque, mesures standards pour les clients corporates typiques, et due diligence renforcée (incluant la vérification indépendante du patrimoine et l’approbation de la direction) pour les cas à haut risque comme les PEPs ou les structures complexes. Les courtiers doivent aussi assurer une surveillance continue des transactions, effectuer un filtrage régulier des sanctions, conserver des dossiers détaillés pendant au moins cinq ans et déposer sans délai une déclaration de soupçon auprès de l’AMSF en cas d’alerte. Cette approche équilibre les attentes réglementaires de Monaco avec la réalité opérationnelle du courtage de yachts, tout en protégeant contre les risques de blanchiment, de violation de sanctions et de dommages réputationnels.

Les implications pour le secteur sont significatives. Les courtiers opérant dans l’UE doivent suivre attentivement les règles en vigueur dans leur pays : en Italie, à Malte et en Belgique, ils doivent s’attendre à appliquer les contrôles AML à presque toutes les ventes majeures ; en Allemagne et en France, ces contrôles s’imposent surtout pour les transactions en espèces au-dessus de 10 000 €. En dehors de l’UE, les courtiers américains doivent se conformer aux obligations de déclaration des espèces mais pas aux programmes AML plus larges, tandis que les courtiers suisses et mannois ne sont concernés que pour des paiements cash exceptionnels. Le Liechtenstein et Monaco imposent déjà des programmes AML complets, indépendamment du mode de paiement. Dans cette dynamique, la meilleure pratique pour l’industrie est de mettre en place volontairement des mesures AML en amont des obligations légales : identification des clients, vérification des bénéficiaires effectifs et suivi de toutes les transactions de grande valeur. Cela permet de réduire à la fois les risques juridiques et réputationnels, et de se préparer efficacement à l’entrée en vigueur du règlement AMLR européen.

Couverture AML des courtiers en yachts – Principales juridictions (Résumé)

Juridiction Seuil / Déclencheur Portée des obligations AML Transactions non-cash couvertes ? Notes
UE (AMLD4/5 – cadre de base) 10 000 € en espèces (paiement unique ou lié) Courtiers traités comme commerçants de biens lors d’acceptation de cash important. ❌ Non Les ventes de yachts non-cash sont en général hors périmètre sauf extension nationale.
Italie 10 000 € (tout type de paiement) Courtiers considérés comme professionnels traitant des actifs de valeur ; CDD et déclaration exigées pour ventes, achats et affrètements. ✅ Oui Extension nationale explicite ; rôles d’escrow/dépositaire également couverts.
France 10 000 € en espèces Courtiers inclus dans la catégorie des commerçants de biens de grande valeur ; CDD/déclaration exigées pour transactions cash. ❌ Non (mais forte doctrine réglementaire) Les autorités publient des typologies incitant à la vigilance pour les opérations de luxe non-cash.
Malte 10 000 € (espèces ou non) Courtiers interdits d’accepter du cash ≥ 10k € ; obligations AML pour toutes transactions de yachts au-delà de ce seuil quel que soit le mode de paiement. ✅ Oui Courtiers explicitement définis comme « subject persons ».
Belgique 3 000 € en espèces ; seuils plus larges pour ventes de luxe Courtiers traités comme commerçants de biens de grande valeur ; AML obligatoire pour la majorité des ventes significatives de yachts. ✅ Oui En pratique, presque toutes les ventes de yachts couvertes ; régime national très strict.
Allemagne 10 000 € en espèces Courtiers couverts comme Güterhändler (commerçants de biens) uniquement pour ventes cash. ❌ Non Les ventes non-cash restent hors AML ; KYC effectué par les banques.
Espagne / Portugal / Pays-Bas 10 000 € en espèces Courtiers inclus uniquement pour grosses transactions cash. ❌ Non Pas d’extension explicite aux transactions non-cash.
Pays nordiques (ex. Danemark, Suède, Finlande) Limites nationales cash très basses (ex. 50 000 DKK au Danemark) Obligations AML uniquement si les limites sont dépassées. ❌ Non Faible usage du cash réduit l’exposition ; pas de règles spécifiques pour les courtiers en yachts.
Grèce 10 000 € (principalement en espèces) La loi liste explicitement les sociétés de courtage de yachts comme entités assujetties pour transactions de grande valeur. ❌ Non Rôles d’escrow/dépositaire non régulés séparément.
Liechtenstein 25 000 CHF (toutes transactions) Courtiers traités comme DNFBPs sous la Due Diligence Act ; CDD/déclaration requises quel que soit le mode de paiement. ✅ Oui Obligations complètes même pour opérations non-cash.
Suisse 100 000 CHF en espèces Courtiers couverts par l’AMLA uniquement pour grosses transactions cash. ❌ Non Les ventes de yachts non-cash ne sont pas régulées sauf intervention bancaire.
Île de Man 15 000 € en espèces Courtiers classés comme HVGDs si seuil atteint ; enregistrement et application des règles AML requis. ❌ Non Activité d’escrow couverte uniquement si cash ≥ 15k €.
États-Unis (fédéral) 10 000 $ en espèces Courtiers doivent déposer le Formulaire 8300 pour encaissements cash ; aucun programme AML continu requis. ❌ Non FinCEN exempte les vendeurs de yachts/véhicules des programmes AML.
États-Unis (États, ex. Floride) Identique au fédéral (10 000 $ cash) Renforce l’obligation de rapport via Form 8300 ; le défaut peut constituer un crime. ❌ Non Les États se concentrent sur l’application des règles fédérales de déclaration cash.
Monaco Pas de seuil cash ; toutes ventes et locations de yachts couvertes Courtiers explicitement ajoutés à la liste des entités assujetties après l’ENR 2022. ✅ Oui




Tableau comparatif des seuils et du champ d'application des mesures anti-blanchiment pour les courtiers en bateaux dans l'UE, aux États-Unis et dans les principales juridictions offshore.
  • Barres vertes = les obligations anti-blanchiment s'appliquent à toutes les transactions supérieures au seuil (par exemple, Italie, Malte, Belgique, Liechtenstein, Monaco).
  • Barres rouges = les obligations anti-blanchiment s'appliquent uniquement aux transactions en espèces supérieures au seuil (par exemple, France, Allemagne, Suisse, États-Unis).

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